L’exception chinoise : le plus grand marché de l’art du monde

Yue Minjun, Untitled (detail), 1994

Débarqué dans les années 2000 à Shanghai, l’artiste français Alexandre Ouairy avec l’aide de son galeriste se faisait passer pour un chinois pour doper ses ventes. Ainsi pendant plus de 10 ans Alexandre Ouairy a vendu ses œuvres sous le pseudonyme de Tao Hongjing. Il affirme que sa démarche était de « jouer avec le marché et les stéréotypes ». Devant l’intérêt limité du public chinois à ses œuvres, du fait de sa nationalité, il décide de prendre ce pseudonyme au vu de l’émergence du marché de l’art chinois et surtout de la montée de la côte des artistes d’origine chinoise dans les années 2000.

Résultat : le prix de ses œuvres explose, ses céramiques se moyennent aux alentours des 30 000 euros contre 200 euros auparavant. Aujourd’hui il estime que sa notoriété est faite et qu’il n’a plus besoin de se cacher derrière ce pseudonyme. Nouveau coup de pub ou honnêteté retrouvée, je vous laisse juger par vous-même.

L’évolution du marché de l’art chinois

Si un artiste français se fait passer pour un artiste chinois ce n’est pas anodin. Les artistes chinois sont une valeur sûre du marché de l’art. Avec la mondialisation, la peinture contemporaine chinoise a explosé à partir de 2004 et représentait un tiers du chiffre d’affaires des maisons internationales en 2008. Les prix des œuvres ont alors atteint des sommets. Par exemple des tableaux de Zhang Xiaogang se vendaient, dans les années 2000, à 5 000 euros alors qu’en 2008 une œuvre a trouvé preneur à  6 millions. En 2011 la Chine est devenue le premier marché de l’art et Hong Kong la troisième salle des ventes pour Sotheby’s et Christie’s. Les galeries internationales ont alors commencé à envahir la Chine : Pékin, Shanghai mais aussi Chaoyang.

Ainsi en 2015, 17 artistes chinois (Zeng Fanzhi n°6, Zhu Xinjian n°8, Zhou Chunuya n°14 ou encore Liu Wei n°20) figurent parmi les 50 artistes réalisant le chiffre d’affaires le plus élevé aux enchères et surtout 9 artistes y parviennent avec un nouveau record d’enchères (notamment Jia Aili). En 2015, 21% du produit des ventes aux enchères d’art contemporain au niveau mondial provient des artistes chinois, derrière les Etats-Unis avec 39%  mais devant l’Allemagne (10.9%) et le Royaume-Uni (10.8%)*.

Si la Chine a perdu sa première place conservée pendant 4 années consécutives (du fait des mesures anti corruptions du président Xi Jinping, du ralentissement de la croissance chinoise, de la contraction de la demande…), elle reste une des places les plus fortes du marché de l’art.

De Tian’annem aux enchères mondialisées

La plupart des artistes chinois qui sont aujourd’hui célèbres à l’étranger sont issus des contestataires de Tian’annem. Ils ont tous commencé à acquérir leur notoriété en Chine, la majorité en créant des polémiques et en s’opposant au régime en place. Puis ils ont quitté la Chine, rejoint des galeries internationales, se sont enrichis et une fois réhabilités dans leur pays,  se sont réinstallés en Chine.

Ai Weiwei  en est le parfait exemple. Il a quitté la Chine pour New York, a fondé une galerie à Genève puis est reparti en Chine. Artiste militant, contestataire et activiste politique, il est arrêté en avril 2011 puis libéré et élu homme de l’année 2011 par le Time magazine. Alors, véritable militant ou coup marketing pour médiatiser son œuvre et s’enrichir ? L’art contemporain a toujours fait polémique et l’ambivalence des artistes entre vrais contestataires ou « faiseurs de frics » en est l’essence même.

L’ambivalence chinoise sur l’art contemporain peut se retrouver dans une même rue à Pékin. Ainsi en face, l’un de l’autre, on retrouve l’UCCA et le café des frères Gao.

Le Ullens Center for Contemporary Art (UCCA), créé par le milliardaire belge Ullens, est le plus grand musée privé de Chine et est fortement lié au régime en place. Face à ce géant on retrouve le café galerie des frères Gao qui sont interdits d’exposer en Chine. Comme AI Weiwei les frères Gao sont riches, célèbres et en rupture avec le régime chinois mais refusent de partir de leur pays.

Autre critique imputée au marché de l’art chinois, la spéculation. On peut ici prendre l’exemple de Yang Yan, artiste chinois inconnu en Occident, dont la cote vient de passer un palier supérieur en décrochant 10,7 millions de dollars pour un ensemble de 18 dessins monumentaux. Si la spéculation entre 2005 et 2007 sur le marché de l’art chinois est phénoménal (hausse des prix de plus de 900% en moins de 10 ans) pour de nombreux observateurs ce phénomène est à relativiser. On retrouve le même problème sur le marché de l’art contemporain en Occident aujourd’hui. Pierre Huber, collectionneur spécialisé en art contemporain chinois, déclare qu’un « bon collectionneur achète des œuvres en fonction des connaissances, pas par rapport à la mode du marché et au diktat des curateurs ». Si on observe aujourd’hui que les collectionneurs influents dictent toujours le prix de l’art contemporain, on note aussi une évolution via les nouveaux collectionneurs chinois notamment. Ils s’intéressent de plus en plus à la promotion de l’art, prônent la variété d’expositions et une plus grande interaction entre collectionneurs et artistes. Lin Han en est l’exemple même et représente l’avenir de l’art contemporain chinois.

Enfin, dernier signe de l’importance encore grandissante de l’art contemporain chinois, l’exposition Monumenta 2016 a été confiée à Huang Yong Ping (galerie Kamel Mennour), figure majeure de l’avant-garde chinoise des années 1980 et est considéré comme l’un des fondateurs de l’art contemporain en Chine. (http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2015/11/02/03015-20151102ARTFIG00281-huang-yong-ping-cogite-en-grand-sur-son-monumenta-2016.php)

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Zeng Fanzhi, The last supper, 2001

Sources:

Artnet : https://news.artnet.com/art-world/alexandre-ouiary-not-chinese-357731

The Telegraph : http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/china/11980720/Chinese-artist-Tao-Hongjing-reveals-hes-a-Frenchman-called-Alexandre.html

La Tribune : http://www.latribune.fr/blogs/le-blog-sur-le-marche-de-l-art/20140429trib000827479/chine-marche-de-l-art.html

Artprice : Etude  « Le marché de l’art contemporain 2015 »

Pour en savoir plus sur l’art contemporain chinois :

–          http://www.exponaute.com/magazine/2014/03/27/art-paris-2014-lart-contemporain-chinois-cest-quoi/

–          http://www.creationcontemporaine-asie.com/pages/artistes-chinois-majeurs.html

–          Une des galeries (spécialisée dans l’art chinois) la plus importante de Paris : http://www.artactuel.com/galerie-art/galerie-lipao-huang-777.html

* Pour information, la France représente 0.8% du marché de l’art contemporain en 2015.

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