Le #CinéIndé à l’heure de la “révolution numérique”

En Mai dernier, la plateforme américaine de SVoD (Service de Vidéo à la Demande par abonnement) Netflix a fait sensation au 70e Festival de Cannes avec la présentation en compétition de deux films d’auteurs reconnus (Okja du réalisateur coréen Bong Joon-Ho et The Meyerowitz Stories de l’américain Noam Baumbach) qui ne seront pas diffusés en salles et disponibles uniquement en exclusivité sur la plateforme. D’où la polémique et la réouverture du débat sur la chronologie des médias, que le secteur de l’audiovisuel est prié de clore en ce moment-même.

Okja, de Bong Joon-Ho

Okja, de Bong Joon-Ho

La Ministre de la Culture et de la Communication, Françoise Nyssen, a en effet relancé dernièrement un ultimatum du Sénat émis en Juillet, suite à la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication. Des propositions concernant la chronologie des média ont été faites et une réponse du secteur du cinéma et de l’audiovisuel est attendue sous 6 mois, après quoi l’Etat se verra dans l’obligation de trancher.

 

Françoise Nyssen

Françoise Nyssen

Mais qu’est-ce que la chronologie des média et pourquoi est-ce si important ? En quoi cela a-t-il un lien avec Netflix et le secteur du cinéma et plus particulièrement celui du cinéma indépendant ?

La chronologie des médias c’est une série de fenêtres d’exploitation des films qui s’ouvrent et se ferment dans le temps. Elle vise à encourager le financement des films en offrant aux financeurs des fenêtres d’exploitation « protégées » des autres, offrir une hiérarchie des expositions (diffusions) qui, on l’espère, crée de la valeur pour une majorité d’’œuvres. Ces fenêtres sont chronologiquement la salle de cinéma, la Vidéo à la demande (3-4 mois), le DVD, les chaînes de télévisions payantes (10 mois), les chaînes de télévision « gratuite » (18 mois) et la SVOD, donc Netflix (36 mois).  Justement, ce dernier justifiait son choix en disant que la sortie en salles l’empêcherait de diffuser les films avant 36 mois et réclame donc un assouplissement de la chronologie. Seulement pour bénéficier de cet assouplissement, Netflix devrait, de la même manière que les autres services de SVoD français comme CanalPlay, financer le cinéma français. Ce à quoi la plateforme américaine est radicalement opposée.
Néanmoins, certaines revendications de la plateforme sont justes et d’autres entités appellent aussi à un assouplissement de la chronologie. Un assouplissement naturel étant donné les avancées technologiques et les adaptations et transformations qu’elles impliquent mais qui n’a aucune raison de concerner la salle de cinéma à condition que cela reste l’activité principale de celle-ci.

Cette polémique, en même temps que d’accélérer la conclusion d’un débat indispensable, pose la question du secteur du cinéma et de l’audiovisuel à l’ère numérique, et nous nous intéresserons de plus près au cinéma indépendant. Pour en illustrer l’importance, revenons à l’exemple de Netflix qui, à l’image de la révolution numérique, génère autant d’opportunités que d’incertitudes.

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Tout d’abord, les salles de cinéma ne peuvent pas absorber l’intégralité des films distribuables, il en sort trop chaque année et la tendance n’est pas à la baisse. Ensuite les modes de financement tels qu’on les connaît pourraient se réduire drastiquement dans les prochaines années, vu l’enthousiasme déclinant des chaînes de télévision envers le cinéma. Par ailleurs, les plates-formes de SVOD offrent des perspectives de visionnage internationales sans précédent. Enfin, ils achètent beaucoup de films indépendants et leur donnent une visibilité alors que nombre d’entre eux auraient pu être des films mort-nés. Ils offrent en plus des possibilités de financement à des projets ambitieux et de jeunes réalisateurs prometteurs, et de manière générale, les auteurs n’ont pas à se plaindre en ce qui concerne leur cachet ou leur liberté d’expression. Par contre, le fait que les films ne sortent pas en salles, donc qu’ils manquent totalement de visibilité, et soient ajoutés à un catalogue comme un simple produit les gêne de plus en plus.

Ainsi, les plateformes de SVoD ont un rôle important à jouer dans le secteur du cinéma ainsi que tout le numérique lui-même lorsque l’on sait par exemple que Netflix investira l’an prochain 8 milliards de dollars dans du contenu, aussi bien dans des projets très lourds financièrement que des projets indépendants. Pour information, Amazon vise un investissement de 4 milliards et Apple vient d’annoncer un plan d’investissement d’un milliard dans du contenu audiovisuel et notamment une série produite et réalisée par Steven Spielberg. Pour revenir en France, de nouveaux acteurs et modes de financement sont peut-être aussi un moyen de régénérer un cinéma français dont certains estiment la qualité loin de ses années de gloire. Sans être obligé de passer par les acteurs américains cités précédemment mais en faisant appel par exemple aux acteurs de SVoD français.

The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach

The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach

Plus qu’un rôle important, le numérique remet en cause le système de distribution classique du cinéma comme le prouve l’embarras dans lequel se trouvent les distributeurs de film aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Les razzias de Netflix et Amazon lors des festivals de Deauville et Sundance par exemple, menacent les distributeurs américains car elles font grimper les prix à un niveau tel que seule une poignée de sociétés pourront acheter ces films. En France, le numérique inquiète car réalisateurs et producteurs pourraient un jour ne plus avoir besoin de leurs services.

Si les distributeurs indépendants vont avoir du mal à faire face à cette évolution, les auteurs et producteurs indépendants peuvent y trouver leur compte en s’adaptant, encore une fois. En effet, cette évolution représente une opportunité, soit de production (via le crowdsourcing), soit de distribution, caractérisée par des couts réduits, des stratégies sur mesure, des sources de revenus séparées et un accès direct aux consommateurs individuels et aux communautés (fans).
Ainsi, les réalisateurs et producteurs peuvent maximiser l’exposition de leurs films sans discuter de la promotion et du marketing avec les distributeurs, tandis que le modèle actuel, avec une distribution segmentée en fenêtre, s’avère de plus en plus intenable à cause de la rapidité de diffusion des contenus piratés. Le concept de distribution est peu à peu dissout dans celui de circulation.

On peut alors envisager la piraterie comme un manque à gagner plus qu’une réelle perte, et encourager ainsi les acteurs à proposer la gratuité des produits grâce à des modèles économiques innovants ? Cela ne reste bien évidemment qu’une hypothèse, une discussion à tenir plus tard.

Néanmoins les évolutions radicales permises par les nouveaux modes de circulation des films en ligne sont très récentes, et suivent le pas extrêmement rapide de la technologie. S’ils constituent une opportunité pour les contenus dits « périphériques », comme le cinéma indépendant, ces changements représentent encore un défi pour les acteurs traditionnels de l’industrie. Ce qui explique sûrement l’accueil farouche du cinéma français réservé à Netflix lors de ce dernier Festival de Cannes…

 

Sources :

http://www.telerama.fr/cinema/selon-stephane-auclaire-distributeur-independant-le-film-a-perdu-de-son-aura,120223.php

https://blogs.mediapart.fr/michel-ferry/blog/080617/cannes-netflix-et-la-pensee-dominante

https://blogs.mediapart.fr/michel-ferry/blog/040817/reponse-la-commission-de-la-culture-de-l-education-de-la-communication-du-senat

http://www.inaglobal.fr/cinema/note-de-lecture/dina-iordanova-stuart-cunningham/digital-disruption/repenser-l-industrie-du-c

http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/le-jeune-cinema-independant-prudent-face-aux-plateformes-svod_1942021.html

http://www.numerama.com/politique/298192-chronologie-des-medias-le-gouvernement-reprend-lultimatum-du-senat.html

https://www.lesechos.fr/19/05/2017/LesEchos/22449-092-ECH_cannes—le-cinema-francais-choisit-le-pire-moment-pour-resister-au-changement.htm

https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/030734606414-netflix-devient-le-studio-de-films-le-plus-prolixe-au-monde-2122944.php

http://www.telerama.fr/cinema/le-cinema-independant-americain-fait-sa-revolution-a-la-demande,148064.php

http://mashable.france24.com/divertissement/20170130-netflix-amazon-festival-sundance-2017

 

 

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