#Intermittents du spectacle: un combat d’intérêt général

L’erreur est souvent commise de prendre le terme “intermittent” pour un métier. Mais ce terme recouvre bien un large panel de professions (ouvriers, techniciens, artistes de diverses disciplines…) dont la spécificité en termes de rythme a amené la création d’un régime d’allocation-chômage spécifique. Ce n’est en effet sûrement pas, par exemple, à la fin d’une pièce de théâtre (ou d’un spectacle de tout type, d’un film, d’un concert) que se termine l’activité (il y a bien un travail important en amont et en aval de cette “activité visible”, de création, préparation, répétition qui mérite rémunération). Mais il existe un arrière-plan à cette lutte puisque cette réforme tant discutée touche fondamentalement à un thème qui ne cesse de se développer aujourd’hui: la précarité du travail dans notre société, et ce dans de nombreux secteurs. Cette réforme, dont la révision de la convention d’assurance-chômage agréée le 26 juin est mise en application depuis le 1er juillet, touche aux annexes 8 et 10 qui concerne l’intermittence, mais aussi à l’annexe 4, spécifique à l’intérim. Or la discontinuité de l’emploi est bien une réalité qui gagne peu à peu tous les secteurs. C’est trop souvent à tort que la lutte des intermittents du spectacle est considérée comme une problématique marginale alors qu’aujourd’hui, plus de 85% des emplois sont pourvus en CDD. La précarité du statut des intermittents fait écho aux droits sociaux des travailleurs précaires et plus généralement, à la solidarité sociale, c’est un combat contre la précarité généralisée, une lutte pour tous – Allemands, Grecques, Espagnols, Italiens – contre un processus européen de démantèlement de l’assurance-chômage. Et l’argument financier du coût trop élevé qui est avancé ne semble pas toujours recevable vu le nombre d’emplois et les milliards d’euros générés par ces activités qui contribuent directement à l’économie nationale. Nombreux sont ceux qui misent sur les activités culturelles comme partie intégrante d’un nouveau modèle de développement social et humain, au même titre que l’école, la santé ou encore les transports de qualité, pensés comme un investissement collectif. A contre courant de l’individualisation, c’est une société solidaire, responsable et du bon vivre qui est ainsi envisagée, bref, des enjeux d’intérêt commun. C’est en cela que les intermittents du spectacle seraient donc le symbole de mutations que subit le monde du travail, d’évolutions de fond et de tensions vives, avec la MEDEF et les syndicats d’une part, le gouvernement d’autre part et enfin, les intermittents. Face à ces transformations, la révolution numérique n’a pas fini d’avoir des effets. Elle pose avec les intermittents la question de la protection de salariés en emploi précaire (ou discontinu) qui doit consacrer de plus en plus de temps, par ce biais, à se former pour leur évolution personnelle et pour l’efficacité de leur travail au sein de la structure à laquelle ils appartiennent, partie du travail dont la rémunération serait justement remise en question. Parallèlement, si le régime des intermittents est dégradé, ils seront de plus en plus contraints d’accepter tout type d’emploi en période d’inactivité, ce qui ne serait pas sans conséquence sur l’offre culturelle. On ne crée pas par “intermittence”, et pendant que l’on ne répète pas, que l’on ne conçoit pas, la diversité des propositions de spectacle s’appauvrit. Là-dedans, Internet est la source de nouvelles formes de travail naissantes, pour s’en sortir (on pense aux conducteurs de VTC sans licence de taxi, à ceux qui font concurrence aux hôtels en louant leur appartement sur Airbnb pour arrondir leurs fin de mois ou encore à tous ceux qui, auto-entrepreneurs sans emploi, ont finalement créé leur mini-entreprise pour se salarier eux-même). Il s’agit donc d’un réel phénomène social de nouvelles formes de travail, moderne, certes, mais aussi modeste et qui revient tout bonnement à se créer son propre travail quand on est au chômage. En découle une individualisation du travail et une instabilité grandissante que Fabienne Brugère explique dans La politique de l’individu: aujourd’hui on ne parlerait plus de statuts mais de trajectoires, ou comment comprendre les évolutions d’un nouveau monde du travail, entre individualisation croissante et rôle capital du digital.

Pour aller plus loin…

Pierre-Michel Menger, Les intermittents du spectacle : sociologie du travail flexible, éd. de l’EHESS, coll. Cas de figure, 2011

Fabienne Brugère, La politique de l’individu, Seuil, coll. La république des idées, 2013

Edwy Plenel_les_intermittents_luttent_pour_nos_biens_communs

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