Gold / Le Sacre – Emanuel Gat

Après une visite VIP du backoffice d’Odyssud, nous nous frayons un chemin dans la pénombre de la salle de représentation. Chacun trouve sa place parmi les 950 fauteuils, pour beaucoup, c’est une première expérience en spectacle de danse. Le programme, que peu d’entre nous aura lu, propose de pénétrer dans l’espace intime d’une vie de famille, avant de revisiter le monument du Sacre du Printemps.

La première partie, GOLD, est une création de 2015. La pièce démarre sur un plateau blanc, à l’éclairage épuré où déambulent 4 danseurs en tenue légère. Au-delà du cadre familial qui lui a servi d’inspiration, E. Gat interroge la nature même des relations humaines dans leur intimité. Voilà qui justifie cet échafaudage de combinaisons chorégraphiques, qui alternent entre complexité et moments de silence.

Complexité que l’on retrouve dans l’accompagnement musical : une superposition de discours, musique et sons divers produits par Glenn Gould. Ainsi, pourra-t-on, tour à tour prêter oreille aux célèbres “Variations Goldberg” de Bach que Gould a lui-même interprétées, et à un documentaire sonore étudiant une communauté religieuse nord-canadienne. Parfois présenté comme poème musical, cet enregistrement achève en 1977  la “La Trilogie de la Solitude” réalisée pour Radio Canada. Il aborde des thèmes existentiels propres au questionnement humain : conflits, unité, arts, politique, philosophie, isolement, etc…

Dès lors, la danse devient objet d’investigation sociologique. On y observe le comportement d’un individu, les logiques inhérentes à un groupe. Autant de ressorts de la vie sociale qui s’entremêlent dans un réseau de significations quasi-inextricable. Cet enchevêtrement se retrouve dans la partition chorégraphique d’Emanuel Gat. Les duos, trios, rassemblements collectifs se mêlent et se démêlent au gré du spectacle. Telle préférence aperçue dans un duo disparaît vite au profit d’un autre duo ou se transforme, de façon encore plus impromptue, en un attroupement difforme de masses humaines agglomérées. Les corps s’entrelacent, se touchent, avant de s’extirper. On y retrouve l’influence de la danse contact, courant de la danse contemporaine faisant du toucher, du contact avec son partenaire, le point de départ d’une  exploration à travers des mouvements improvisés.

Les groupes varient, aussi bien dans leur composition que dans leur taille. Tel duo se retrouve dans un jeu d’actions, réactions qui devient métaphore d’un dialogue. Les mains, expressives et joueuses, lancent des signaux, interpellent, instaurent une conversation non sans rappeler la langue des signes. Tour à tour complice, sensuel, doux ou brutal, le geste invoque pour le spectateur un état émotionnel émanant de l’inter-relation qui agit sous ses yeux. De la particularité du solo d’un trio, à la synchronisation du groupe, Emanuel Gat nous propose de démêler les logiques sociales de l’agrégat de mouvements.

Cet ensemble composite lasse parfois. Certains s’agaceront de l’amoncellement de gestes dont le propos semble confus. Limpide, la proposition chorégraphique finit par être trop lisse. Un effet de  « retouche photoshop » tiraillant que l’on aimerait voir exploser, nous surprendre. Mais le chorégraphe a su s’extirper de cette linéarité bavarde par le recours à de nombreux silences.

On distinguera deux types de silences au cours de la pièce : musical et corporel. Défini par l’ouïe, le silence musical a lieu lorsque se tait la bande sonore. Celui-là n’interrompt en aucun cas la danse. Au contraire, il sert le propos chorégraphique en soulignant les geste. Obnubilé, le regard du spectateur redouble d’attention tandis que son ouïe va capter les micro-sons émanant de la danse : frottement, bruit des pas, glissés, frappés… La danse convoque alors deux fois plus de sens ce qui lui confère une autre dimension, plus totale. Second type de silence : le silence corporel. Ce dernier traduit l’arrêt des mouvements des danseurs, semblable à une pose. On note ainsi que chaque danseur a une présence particulière sur scène, on découvre le cheminement de tel mouvement et la dynamique de telle partie de la pièce.
Ces silences corporels sont autant d’occasions de se plonger dans la simplicité géniale de la scénographie. La lumière crue, à la fois intemporelle et mortifère, est nuancée par deux faisceaux faisant une bande noire en milieu de scène et alterne par des moments de noir/lumière stupéfiants. Une ambiance sublimée par la mise en scène graphique, presque chirurgicale d’Emanuel Gat.

Une précision que l’on retrouvera après l’entracte, dans la scénographie du Sacre. Cette seconde partie tranche tout à fait avec GOLD. Datant des débuts de la carrière chorégraphique d’E.Gat, elle prouve l’évolution de son projet chorégraphique. Le propos n’en est pas moins génial, ce qui explique surement l’engouement de son public pour la voir et revoir. La pièce revisite le Sacre du Printemps imaginant des airs de salsa autour d’un tapis rouge sang.

Le silence inaugural ne passe pas inaperçue, pas moins que le confinement oppressant de la première partie de la pièce au seul tapis rouge. On se laisse vite porter par ce jeu de danses de couple rythmé par un partenaire imaginaire. Le contraste de la fluidité des pas de salsa avec la violence de la partition musicale est frappant. Là encore, l’éclairage type infrarouge sert le propos. Le tapis central devient dès lors sanguinaire, dévoilant l’autel sacrificiel final.

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