De #disruption à dysruption, il n’y a qu’un mot….

Les mots devraient être comme des œuvres sacrées. Hélas, ils sont sujets à l’usure : trop vite dévitalisés ou a contrario idolâtrés. Ils viennent au monde chargés d’espérance mais sitôt matures ils s’en retrouvent galvaudés ; tantôt ils disparaissent, tantôt ils réapparaissent à l’occasion de soubresauts idéalisés sinon banalisés. Devenus des lieux communs, certains, alors, perdent leur substantifique moelle sur la place publique à force d’être rongés jusqu’à l’os. Ainsi en va-t-il du vocable « disruption ».

Avant toutes choses, il est de bon ton d’emprunter un détour « radical », de plonger à la racine du mot pour remonter à sa genèse. La disruption est originellement le nom déposé d’une marque détenue par l’agence publicitaire TBWA, créée en 1992 afin de « protéger la méthodologie créative proposée aux clients » selon les mots de son fondateur, Jean-Marie Dru. Soit. L’adjectif « disruptif », quant à lui, désigne dans le langage courant les séquelles engendrées par des catastrophes naturelles. Jusqu’à la parution du best-seller « Innovator’s Dilemma » en 1997 par Clayton Christensen, la disruption ne fait pas partie du jargon entrepreneurial et n’envahit pas la sphère business. Dès lors, l’innovation disruptive s’immisce dans les considérations économiques en s’opposant à l’innovation incrémentale : il ne s’agit plus d’améliorer ou d’optimiser l’offre existante mais bien de casser les codes, de rompre les conventions, d’impulser une discontinuité sur le marché en changeant de paradigme via un saut technologique. En tant que rupture, la disruption porte en elle-même une ambivalence teintée de reflets « schumpetériens » : tout autant force destructrice que créatrice car les bouleversements occasionnés sont insoupçonnés…

Bien que l’on crie à tous crins à la disruption, toute innovation ne l’est pas pour autant et la grille de lecture permettant de la caractériser comme telle est polyphonique. Par exemple, si l’on parle bien aujourd’hui « d’ubérisation de l’économie », les avis divergent quant à gratifier le service Uber d’une valeur disruptive. En outre, aussi renversantes soient-elles, certaines innovations peinent à s’imposer sur le marché. Tel est le cas pour l’Internet des Objets (IdO) dont l’événement « Cap sur l’innovation », se déroulant le 6 octobre dernier au Ministère de l’Économie, a tenté d’apporter une solution à la stagnation de ces nouvelles technologies victimes d’une filière trop dispersée, d’un manque de visibilité, d’un public trop timoré ou encore des errements d’une cyber-sécurité expugnable.

Mais le fait marquant de cette semaine concerne peut-être moins le monde économique que la sphère politique : la disruption s’invite à la campagne présidentielle par la voix d’Emmanuel Macron qui l’a martelée lors de son discours à Strasbourg. Hors des appareils politiques traditionnels, on lui prête la prétention de vouloir rompre avec les logiques politiciennes d’antan, ringardiser les vieux briscards et sortir le pays de la déprime via des solutions novatrices (numérique, tirage au sort, horizontalité…). Mais prenons garde aux effets d’annonce qui savent capter les mots dans l’air du temps pour donner le change. A défaut d’innover, le recours au paraître et aux termes écrans est une tactique sempiternelle. Or, la banalisation même de la disruption dans les discours aboutit à une néantisation d’elle-même : trop de disruptions tuent la disruption. Rupture de la rupture…. Alors que ce vocable rimait avec une floraison des idées infusant et fusant tous azimuts, ce dernier encoure le risque d’être absorbé dans un novlangue. Il risque de se réduire à un élément de langage dévoyé, à un contenant évidé servant à décontenancer ou se donner contenance ; de devenir un code phraséologique alors même qu’il signifiait intimement l’explosion des règles.

La disruption est-elle toujours un raz-de-marée ? La disruption n’est-elle plus qu’un coup de vent pour être à la mode ou un effet de mode pour être dans le vent ? Toujours est-il qu’à l’heure de la course à l’innovation et au développement des traducteurs universels via le deep learning, une langue restera universellement innovante sans pour autant ne rien chambouler : la langue de bois.

Sources :

https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-05-octobre-2016

http://www.objetconnecte.com/captronic-innovation-071016/

https://www.franceinter.fr/emissions/vivement-demain/vivement-demain-18-septembre-2016

http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-142663-disruption-uberisation-les-exces-des-mots-cachent-la-realite-1171733.php

http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20160122.OBS3214/le-concept-de-disruption-explique-par-son-createur.html

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