#ArtsVisuels / Les bulles spéculatives, ou l’illusion de la valeur de l’art

A l’ère de tous les records pour les sociétés de ventes aux enchères, le marché de l’art paraît toujours plus mégalomane. Cependant, ce gonflement conséquent des prix de vente cache de nombreux changements inquiétants au sein de ce marché.

Depuis 2016, nombreux sont les artistes qui ont battu leur record personnel pour une vente aux enchères (par exemple Basquiat avec “Untitled” pour $110.5 million, ou encore Kerry James Marshall avec “Past Times” pour $21.1 million).

Pour le marché de l’art, les années 2010 symbolisent l’arrivée d’investisseurs Chinois ambitieux qui viennent perturber les ventes aux enchères, mais aussi l’invention de systèmes d’enchère à distance (comme BidNOW chez Sotheby’s). Ces changements ont contribué à créer un climat compétitif plus intense, une envolée des prix, et une course effrénée pour l’acquisition d’oeuvres souvent sur-cotées.

Et pourtant, malgré ces tendances extravagantes, la valeur totale du marché de l’art aujourd’hui semble arriver à saturation, voir même être en déclin. Le Professeur Roman Kräussl de la Luxembourg School of Finance dit que le prix moyen des oeuvres d’après-guerre et des oeuvres contemporaines a chuté de 21% en 2016. La publication de ce dernier dans le Manager Magazin va même plus loin, en disant que le prix moyen toute oeuvre confondue a chuté de 29% en 2016, d’une moyenne de $160 000 à $108 000.

Il faut savoir que l’achat d’une oeuvre ne relève absolument pas, dans la plupart des cas, d’un coup de coeur soudain ou d’une affection profonde pour l’oeuvre de la part de l’acheteur. Ce genre d’acquisition est le plus souvent vu comme un investissement à long terme. Au vue de l’évolution du marché, il n’est pas étonnant que de nombreux investisseurs aient eu peur. Et pour cause, de nombreuses oeuvres à des prix de départ dépassant les $100 000 ont été retiré des enchères à cause d’un risque d’invendu trop élevé, comme l’indique un nouveau rapport de Kräussl.

Enfin, l’emploi de campagnes marketing agressives est un autre facteur qui dénature les oeuvres d’art aujourd’hui, ce qui nous amène au cas de Damien Hirst.

Une enchère en 2008 dédiée à ses peintures, Beautiful Inside My Head, a finit par lever près de 111 million de dollars pour l’artiste. Aujourd’hui, selon la revue d’art Artnet, 17 de ces 19 oeuvres ont chuté drastiquement en valeur, les pertes totales atteignant 2,3 millions de dollars.

En effet, nous avons affaire ici a une “mini-bulle” créée par Hirst et son équipe RP dans le but de faire grandir l’anticipation et le suspens avant l’enchère dédiée à son catalogue. Cette opération de “hype”, bien qu’efficace, a dupé de nombreux collectionneurs qui se retrouvent aujourd’hui avec une ou plusieurs oeuvres drastiquement sur-cotées.

Les spécialistes du marché Philip Hook et Dan Thompson doutent que les collectionneurs possédant les travaux de Hirst puisse récupérer leur investissement initial. De plus, ils estiment que la valeur de ces oeuvres chutera encore plus après la mort de l’artiste, au point de ne plus être revendables. Ils les distinguent donc des oeuvres présentées de manière moins agressive au public, qui “dureront beaucoup plus longtemps”.

Cette triste stratégie de tromper avec un marketing agressif plutôt que de revendiquer la qualité des oeuvres semble devenir une tendance, à l’image de d’autres artistes ayant la même stratégie que Hirst, comme Tracey Emin par exemple.

Ces deux facteurs, une saturation du marché entraîné par des investissements trop extravagants par le passé, couplé avec de nouvelles stratégies de “retour à court terme” que les artistes mettent en place pour faire gonfler les prix de leurs oeuvres, font que le marché de l’art est aujourd’hui ce qu’il est. Un marché imprévisible qui inspire beaucoup moins confiance.

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